Bonjour


Que vous soyez là par hasard ou par envie, laissez une petite trace de votre passage !


dimanche 24 novembre 2013

Je t'attends



Prête-moi un seul mot
Et je t’en rendrai cent
Je préfère à  ce silence
Mon éternel lamento
Jeté dans l’océan
Comme une évidence.

Si tu occupes mes pensées
Laisse-moi hanter tes rêves
De l’un à l’autre ballotée
Dans une ardeur insensée
Sans relâche et sans trêve
Nous finirions enchantés.

Mais ainsi passe le temps
Les eaux sont si profondes
Je ne pourrai jamais te trouver
Toujours à contretemps
Et mon âme vagabonde
En restera désœuvrée.

Prête-moi un seul mot
Et je t’en rendrai cent
Car bientôt même le silence
Brisé par mes sanglots
Dans ce calme apparent
Pleurera ton absence.

Je t’attends…




jeudi 21 novembre 2013

Le carnet


Elle se tenait sur le pont, accoudée au parapet. Tout autour, les premiers bourgeons éclataient sur les arbres donnant au paysage cette couleur si douce et caractéristique du réveil de la nature. Partout, les premières fleurs et les camaïeux de vert tendre. Le pépiement des oiseaux contribuait à l’air de fête, c’était le retour du printemps. Tout était doux, léger. Chaque année elle s’émouvait de ce bien-être revenu, quitter l’hiver pour retrouver la vie. Sur le pont, elle dévorait des yeux la beauté des berges, la perspective que le fleuve paisible ouvrait sur les monuments de la ville. Mais si le charme opérait toujours, ce n’était pas pour lui qu’elle se tenait là.
Elle regarda le carnet qui reposait entre ses mains. Un carnet à la couverture rigide, recouvert de tissu broché aux motifs argentés sur fond rouge, un tissu qui jouait avec la lumière. Elle le trouvait beau, c’était son confident. Pour lui seulement, elle soignait le tracé des lettres sur les pages non lignées, maîtrisant son écriture nerveuse. Elle avait choisi un stylo à l’encre bleue exprès pour lui. Il était indispensable de conserver l’esthétique. Lorsqu’elle l’ouvrait, elle appréciait les petites lignes régulières, feuille après feuille. Elle lui confiait ses sentiments et ses émois de jeune adolescente et, sans en être bien consciente, s'efforçait de lui donner un aspect serein.

Elle l’ouvrit et le feuilleta. Sans les lire, elle passa le bout des doigts sur les phrases alignées, ces pages étaient belles. Elle arriva à la dernière, là où elle lui avait écrit pour la dernière fois. Elle lui avait écrit, faute de pouvoir lui parler. 
Jour après jour, semaine après semaine.

Ils s’étaient rencontrés au lycée.
Une rencontre improbable rendue possible par la promiscuité de l’enceinte. Une attirance inexpliquée, explique-t-on les attirances ? Un garçon, une fille. Un grand garçon dégingandé au regard triste, une petite fille avide de vivre. Il l’avait amenée chez lui, où il habitait avec deux amis. Il était un peu plus âgé qu’elle. Il avait quitté sa ville pour étudier dans le lycée où elle se trouvait. Ils buvaient du café, ils discutaient. Et puis le silence s’installait, sans la moindre gêne. Un silence qu’elle pensait bavard, comme certains silences savent l’être pour peu qu’on sache les écouter, mais allez savoir.
Il mettait alors de la musique et commençait à danser. Seul, replié en lui-même.
Elle n’avait jamais vu un garçon danser aussi librement. Surtout, elle n’avait jamais vu un garçon danser dans une cuisine, indifférent aux yeux des autres, du moins en apparence. Ses yeux ne le lâchaient pas, elle voulait s’imprégner de l’harmonie des mouvements de son corps. Un corps qui n’hésitait pas à parler dans une langue qu’il lui restait à découvrir.
Elle n’était pas la seule à être fascinée, il y avait deux autres spectateurs, tout aussi silencieux. Les deux amis qui jamais ne les quittaient. Qui aussi buvaient du café et s’accommodaient du silence.

A la dernière page, elle tira brutalement. La feuille se déchira et lui resta dans la main, pathétique avec son bord dentelé et pelucheux.
Voilà, c’était fait.
Il n’y avait plus qu’à continuer.
Elle la lâcha dans le vide, la regarda tournoyer vers le fleuve indolent, légère dans l’air printanier. L’encre, elle en était sûre, se diluerait au premier contact de l’eau.

Jour après jour, semaine après semaine, ils se retrouvaient au portail.
Café, papotage, danse.
Son regard à elle changeait. Elle faisait attention aux yeux bruns de ce garçon qui riait si peu, à sa bouche boudeuse qui parfois laissait échapper des réflexions un peu brusques qu’elle ne comprenait pas bien. Elle aimait ce mystère qui résistait. Elle buvait des yeux son long corps mince qui bougeait au rythme de la musique. C’était le printemps. Elle commençait à sentir l’éveil de la nature jusque dans son corps. Sensation nouvelle.

Elle déchira encore une autre page. Elle la regarda prendre à son tour son envol, tourbillonner et puis toucher la surface de l’eau.

Vint ce jour où personne ne l’attendit au portail du lycée.
Il était parti sans elle.
Un mouchoir sur sa fierté, elle partit à pied les rejoindre.
S’ils furent surpris, ils ne le lui montrèrent pas. Elle fit comme si de rien n’était.
Ils étaient là, tous les trois, assis dans la cuisine.
Il ne dansa pas ce jour-là mais quitta la pièce.
Elle le suivit dans sa chambre, s’assit près de lui sur son lit, osa s’allonger à côté de lui lorsqu’il se renversa en arrière. Le jeu paraissait sans équivoque.  
Pas un mot, pas un regard, pas un geste. 
Elle, elle le voulait.
Lui, fixait le plafond.
Le silence n’était plus un ami et la trahissait.

Elle déchira une troisième page et lui fit prendre son envol. Une nouvelle page libérée des autres.

D’un de ses mouvements souples qui le rendait si séduisant, il se releva et s’approcha de la fenêtre. Soulevant le rideau, il s’absorba dans la contemplation de la rue, comme indifférent à la présence de la jeune fille qui s’offrait à lui, indifférent au silence.
Le moment arriva où il fallut repartir.
L’heure de parler était passée.
Bouleversée et trop timide pour se dévoiler davantage ou pour poser la question, elle repartit sagement avec eux.

Elle déchira la page suivante et la regarda s’envoler, elle aussi.

Elle n’insista pas et décida d’oublier, elle n’attendit plus au portail du lycée. Elle eut son bac et partit à l’automne suivant étudier loin de chez elle, près de chez lui.
Etait-ce la perte de son univers familier, la difficile adaptation à sa nouvelle vie ? Elle se remit à penser à lui. La manière dont ils avaient fait connaissance, l’intérêt et l’attention qu’il  lui avait portés. Leurs silences apaisants et qui semblaient complices. Ses yeux noirs qui regardaient sans regarder mais qui parfois pouvaient être si perçants. Son corps long et mince qui vivait dans la danse et qui lui avait donné l’envie de s’enhardir. 
Et ses questions sans réponse. Tous les pourquoi de la terre. Universels.
Elle se mit à lui écrire, aborda pour lui tous les sujets qui lui tenaient à cœur… Sans honte ni pudeur.
Les mots écrits étaient plus libres que la parole. Tournant autour de ses interrogations.
Finir la lettre, c’était couper le lien. Alors elle continuait à lui parler dans son carnet, avec ce stylo-encre qui l’obligeait à freiner sa main, de cette petite écriture fine qui ne lui ressemblait pas.
Elle avait trouvé un messager. Les lettres furent toutes acceptées. 
Sans un mot. 
Sans lassitude. Sans colère. Sans exaspération.
Il les mettait dans sa poche mais ne répondit jamais. Les mots écrits eux aussi soumis au silence.

Elle déchira une nouvelle page. Puis une autre encore, et encore…

Les jours et les semaines défilèrent, elle se retrouva à un nouveau printemps. En même temps que la vie reprenait autour d’elle, elle se sentait sortir de sa léthargie.
Elle attrapa son carnet et tenta de lire ses mots, pathétiques moucherons pris dans les filets de la toile de papier, qui n’en pouvaient plus de solitude. Ils finissaient de s’user dans le silence. Illisibles.
Il était temps de passer à autre chose.

Elle déchira une autre page, puis encore une autre… Et toutes partirent en virevoltant et dansant vers le fleuve, le fleuve qui diluerait ses chimères en même temps que ses mots et les ferait disparaître avant même que le papier ne se délite.
Considérant son carnet désormais mutilé, elle le laissa tomber, mettant définitivement un terme à cet amour de jeunesse qui n’avait pourtant jamais existé, cet amour de jeunesse avorté mais qu’elle avait malgré tout voulu porter.
Inutile.