leurs mots et les miens
Bonjour
vendredi 29 novembre 2013
dimanche 24 novembre 2013
Je t'attends
Prête-moi un seul mot
Et je t’en
rendrai cent
Je préfère
à ce silence
Mon éternel
lamento
Jeté dans
l’océan
Comme une
évidence.
Si tu
occupes mes pensées
Laisse-moi
hanter tes rêves
De l’un à
l’autre ballotée
Dans une
ardeur insensée
Sans relâche
et sans trêve
Nous finirions
enchantés.
Mais ainsi
passe le temps
Les eaux
sont si profondes
Je ne pourrai
jamais te trouver
Toujours à
contretemps
Et mon âme
vagabonde
En restera
désœuvrée.
Prête-moi un seul mot
Et je t’en
rendrai cent
Car bientôt même
le silence
Brisé par
mes sanglots
Dans ce
calme apparent
Pleurera ton
absence.
Je t’attends…
jeudi 21 novembre 2013
Le carnet
Elle se tenait sur le pont, accoudée au parapet. Tout autour, les premiers bourgeons éclataient sur les arbres donnant au paysage cette couleur si douce et caractéristique du réveil de la nature. Partout, les premières fleurs et les camaïeux de vert tendre. Le pépiement des oiseaux contribuait à l’air de fête, c’était le retour du printemps. Tout était doux, léger. Chaque année elle s’émouvait de ce bien-être revenu, quitter l’hiver pour retrouver la vie. Sur le pont, elle dévorait des yeux la beauté des berges, la perspective que le fleuve paisible ouvrait sur les monuments de la ville. Mais si le charme opérait toujours, ce n’était pas pour lui qu’elle se tenait là.
Elle regarda le carnet
qui reposait entre ses mains. Un carnet à la couverture rigide, recouvert de
tissu broché aux motifs argentés sur fond rouge, un tissu qui jouait avec la
lumière. Elle le trouvait beau, c’était son confident. Pour lui seulement, elle
soignait le tracé des lettres sur les pages non lignées, maîtrisant son
écriture nerveuse. Elle avait choisi un stylo à l’encre bleue exprès pour lui.
Il était indispensable de conserver l’esthétique. Lorsqu’elle l’ouvrait, elle
appréciait les petites lignes régulières, feuille après feuille. Elle lui
confiait ses sentiments et ses émois de jeune adolescente et, sans en être bien
consciente, s'efforçait de lui donner un aspect serein.
Elle l’ouvrit et le
feuilleta. Sans les lire, elle passa le bout des doigts sur les phrases
alignées, ces pages étaient belles. Elle arriva à la dernière, là où elle lui
avait écrit pour la dernière fois. Elle lui avait écrit, faute de pouvoir lui
parler.
Jour après jour, semaine
après semaine.
Ils s’étaient rencontrés
au lycée.
Une rencontre improbable
rendue possible par la promiscuité de l’enceinte. Une attirance inexpliquée,
explique-t-on les attirances ? Un garçon, une fille. Un grand garçon
dégingandé au regard triste, une petite fille avide de vivre. Il l’avait amenée
chez lui, où il habitait avec deux amis. Il était un peu plus âgé qu’elle. Il
avait quitté sa ville pour étudier dans le lycée où elle se trouvait. Ils
buvaient du café, ils discutaient. Et puis le silence s’installait, sans la
moindre gêne. Un silence qu’elle pensait bavard, comme certains silences savent
l’être pour peu qu’on sache les écouter, mais allez savoir.
Il mettait alors de la
musique et commençait à danser. Seul, replié en lui-même.
Elle n’avait jamais vu un
garçon danser aussi librement. Surtout, elle n’avait jamais vu un garçon danser
dans une cuisine, indifférent aux yeux des autres, du moins en apparence. Ses
yeux ne le lâchaient pas, elle voulait s’imprégner de l’harmonie des mouvements
de son corps. Un corps qui n’hésitait pas à parler dans une langue qu’il lui
restait à découvrir.
Elle n’était pas la seule à être
fascinée, il y avait deux autres spectateurs, tout aussi silencieux. Les deux
amis qui jamais ne les quittaient. Qui aussi buvaient du café et
s’accommodaient du silence.
A la dernière page, elle
tira brutalement. La feuille se déchira et lui resta dans la main, pathétique
avec son bord dentelé et pelucheux.
Voilà, c’était fait.
Il n’y avait plus qu’à
continuer.
Elle la lâcha dans le
vide, la regarda tournoyer vers le fleuve indolent, légère dans l’air
printanier. L’encre, elle en était sûre, se diluerait au premier contact de
l’eau.
Jour après jour, semaine
après semaine, ils se retrouvaient au portail.
Café, papotage, danse.
Son regard à elle
changeait. Elle faisait attention aux yeux bruns de ce garçon qui riait si peu,
à sa bouche boudeuse qui parfois laissait échapper des réflexions un peu
brusques qu’elle ne comprenait pas bien. Elle aimait ce mystère qui résistait.
Elle buvait des yeux son long corps mince qui bougeait au rythme de la musique.
C’était le printemps. Elle commençait à sentir l’éveil de la nature jusque dans
son corps. Sensation nouvelle.
Elle déchira encore une
autre page. Elle la regarda prendre à son tour son envol, tourbillonner et puis
toucher la surface de l’eau.
Vint ce jour où personne
ne l’attendit au portail du lycée.
Il était parti sans elle.
Un mouchoir sur sa
fierté, elle partit à pied les rejoindre.
S’ils furent surpris, ils
ne le lui montrèrent pas. Elle fit comme si de rien n’était.
Ils étaient là, tous les
trois, assis dans la cuisine.
Il ne dansa pas ce
jour-là mais quitta la pièce.
Elle le suivit dans sa
chambre, s’assit près de lui sur son lit, osa s’allonger à côté de lui
lorsqu’il se renversa en arrière. Le jeu paraissait sans équivoque.
Pas un mot, pas un
regard, pas un geste.
Elle, elle le voulait.
Lui, fixait le plafond.
Le silence n’était plus
un ami et la trahissait.
Elle déchira une
troisième page et lui fit prendre son envol. Une nouvelle page libérée des
autres.
D’un de ses mouvements
souples qui le rendait si séduisant, il se releva et s’approcha de la fenêtre.
Soulevant le rideau, il s’absorba dans la contemplation de la rue, comme
indifférent à la présence de la jeune fille qui s’offrait à lui, indifférent au
silence.
Le moment arriva où il
fallut repartir.
L’heure de parler était
passée.
Bouleversée et trop timide
pour se dévoiler davantage ou pour poser la question, elle repartit sagement
avec eux.
Elle déchira la page
suivante et la regarda s’envoler, elle aussi.
Elle n’insista pas et
décida d’oublier, elle n’attendit plus au portail du lycée. Elle eut son bac et
partit à l’automne suivant étudier loin de chez elle, près de chez lui.
Etait-ce la perte de son
univers familier, la difficile adaptation à sa nouvelle vie ? Elle se
remit à penser à lui. La manière dont ils avaient fait connaissance, l’intérêt
et l’attention qu’il lui avait portés. Leurs silences apaisants et qui
semblaient complices. Ses yeux noirs qui regardaient sans regarder mais qui
parfois pouvaient être si perçants. Son corps long et mince qui vivait dans la
danse et qui lui avait donné l’envie de s’enhardir.
Et ses questions sans
réponse. Tous les pourquoi de la terre. Universels.
Elle se mit à lui écrire,
aborda pour lui tous les sujets qui lui tenaient à cœur… Sans honte ni pudeur.
Les mots écrits étaient
plus libres que la parole. Tournant autour de ses interrogations.
Finir la lettre, c’était
couper le lien. Alors elle continuait à lui parler dans son carnet, avec
ce stylo-encre qui l’obligeait à freiner sa main, de cette petite écriture fine
qui ne lui ressemblait pas.
Elle avait trouvé un
messager. Les lettres furent toutes acceptées.
Sans un mot.
Sans lassitude. Sans
colère. Sans exaspération.
Il les mettait dans sa
poche mais ne répondit jamais. Les mots écrits eux aussi soumis au silence.
Elle déchira une nouvelle
page. Puis une autre encore, et encore…
Les jours et les semaines
défilèrent, elle se retrouva à un nouveau printemps. En même temps que la vie
reprenait autour d’elle, elle se sentait sortir de sa léthargie.
Elle attrapa son carnet
et tenta de lire ses mots, pathétiques moucherons pris dans les filets de la
toile de papier, qui n’en pouvaient plus de solitude. Ils finissaient de s’user
dans le silence. Illisibles.
Il était temps de passer
à autre chose.
Elle déchira une autre
page, puis encore une autre… Et toutes partirent en virevoltant et dansant vers
le fleuve, le fleuve qui diluerait ses chimères en même temps que ses mots et les
ferait disparaître avant même que le papier ne se délite.
Considérant son carnet
désormais mutilé, elle le laissa tomber, mettant définitivement un terme à cet
amour de jeunesse qui n’avait pourtant jamais existé, cet amour de jeunesse
avorté mais qu’elle avait malgré tout voulu porter.
Inutile.
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